How to kill time

Zavet

Et un de plus.


Inutile de préciser que, depuis le temps qu'on l'attendait, du moins, que JE l'attendais, le film de Kusturica devait être au moins aussi bon que les précédents. La barre avait été mise bien haut, déjà, par le réalisateur lui-même, et il restait à voir si, comme le vin, le réalisateur s'affinait en vieillissant, ou bien s'il rancissait en prenant de l'âge.

Difficile à dire, lorsque l'objet cinématographique est apparu sur nos écrans. Critiques divisées, dénonçant d'un côté le burlesque du film, applaudissant de l'autre le baroque du metteur en scène. C'est donc avec une certaine appréhension – je l'avoue – que j'ai  vu le film, « Promets-moi. »




Avec un sourire pareil, comment ne pas promettre la Lune ?




Après une mise en place du décor qui pourrait sembler un peu longue, comparée aux films que l'on pourrait avoir l'habitude de voir (je précise 'on' – justement imprécis – car, je vous le rappelle, je n'appartiens pas à ces gens-là, mes films de prédilection étant des films chiants…) l'histoire démarre. Et quelle histoire !
Tsane, un jeune garçon (d'âge inconnu, visiblement un adolescent) vit seul à la campagne avec son grand-père, l'institutrice, et Cvetka, leur vache. Le jour où l'école ferme, Tsane doit partir à la ville, mais surtout remplir les trois promesses qu'il a faites à son grand-père : vendre la vache et acheter une icône avec l'argent obtenu, trouver un souvenir sur place, et revenir avec une femme, pour lui. Débute alors une étrange quête initiatique.
Si le début du film regorge de nombreux gags empruntés – non copiés, soyons bien clairs – au cinéma burlesque, Buster Keaton ne semble pas loin, c'est une fois les 20 premières minutes passées que le film gagne en excellence. En effet, les « gags » tout de même parfois poussifs de ces préliminaires disparaissent pour laisser place à une absurdité assez récurrente chez Kusturica, celle de la vie.


Les enterrements en Serbie



Toujours onirique, le film ne cesse de nous rappeler qu'il n'est qu'une représentation de la réalité. Cette histoire, qui ressemble à s'y méprendre à un conte de fées moderne – cela ne signifie aucunement mièvre ou mielleux – distille une représentation assez cocasse du monde actuel : le prince charmant, Tsane (Uros Milovanovic), à la rescousse d'une charmante princesse, Jasna (Marija Petronijevic), confrontés `un grand méchant loup, joué avec brio par l'inénarrable Miki Manojlovic. Pour les habitués du réalisateur, ce dernier a joué dans Papa est en voyage d'affaires, Underground, et Chat noir, chat blanc. On l'a vu aussi dans Irina Palm.
Les deux enfants, incarnation de la jeune Serbie, laissée par l'ancienne génération mélancolique de l'URSS ou exploitée par les Etats-Unis, est épaulée dans son passage adulte par le Grand Frère, la Russie. Le tout merveilleusement mis en scène par un jeu de situations et de dialogues qui articulent de manière subtile les relations entre ces différents protagonistes. L'opposition ville/campagne est aussi intéressant à observer, et l'on sent chez le réalisateur une sorte d'hymne au bonheur champêtre que prônait déjà Tibulle au Ier siècle av.J.-C. Un parallèle se dresse aussi entre les deux mondes que Tsane découvre, avec des rites similaires, des passages obligés, mais, là où, à la campagne, le jeune garçon était confronté à l'animal, c'est face à l'humain qu'il se retrouve en ville, mais qui ne vaut guère mieux que les bêtes qu'il voyait dans son village. Dont acte, d'ailleurs, aussi hilarant que douloureux pour le spectateur. La spectatrice, elle, verra là une preuve d'émancipation mettant fin aux traitements infligés aux femmes par ces hommes-bêtes, qui prouvent leur bestialité jusque dans leur sexualité même. Véritable rite initiatique, cette 'promesse' mènera nos jeunes héros à l'âge adulte, de manière parfois douloureuse, mais nécessaire, leur faisant voir l'éventail des possibilités humaines, de l'être le plus minable à celui le plus droit. Une belle leçon de morale, si l'on veut, la pesanteur du discours didactico-pédagogique étant fort heureusement mise de côté. Et là où le tragique aurait pu rendre le récit poisseux de noirceur, et étouffant, l'homme derrière la caméra nous permet d'en sourire, d'en rire, par une technique bien ficelée, où les victimes finissent finalement par triompher, d'une manière ou d'une autre, de leurs anciens bourreaux. Et, contrairement à un Underground nous entraînant dans les tréfonds obscurs et malsains de l'âme humaine, les démons semblent ici exorcisés – la fête redevient véritablement cathartique - et la démesure reprend le dessus, de manière constructive, car ouverte sur l'avenir. Même la mort devient joyeuse, car, contrebalancée par le mariage, elle fait partie intégrante de la vie, celle que ne cesse de célébrer Kusturica.


Moment de calme après la tempête kusturicienne...




Hymne à l'amour – célébré de toutes parts – ce film est mené tambour battant par une caméra survoltée  des comédiens électriques. Passons un voile pudique sur le charme de la sublime Marija Petronijevic dont la simple présence aurait dû permettre au film de remporter une Palme d'Or. (Rien de moins !) Un sourire comme on n'en fait plus…
La musique, plus discrète que dans les précédents Kusturica, et composée par son fils, soutient le film, sans pour autant être aussi importante qu'auparavant, lorsque Goran Bregovic ou le No Smoking Orchestra composaient les mélodies.
Cette fable pleine de vie regorge de trouvailles, d'idées, bonnes et mauvaises, avouons-le, nous replonge directement dans l'univers du cinéaste, fantaisiste, et très métaphoriques. Nous passerons sur l'inévitable « ange volant » devenu, depuis Le Temps des Gitans, une constante chez Kusturica, ni sur la pendaison de personnages au bout d'une corde. (à noter qu'ici la corde n'est pas passée au cou)
Oui, Kusturica se répète, mais il ne bégaie pas. Il ne se parodie pas, comme cela a pu être dit. Il fait ce qu'il sait faire de mieux, du Kusturica.

En sortant de la salle, c'est avec une humeur apaisée et guillerette que l'on retourne tranquillement à la réalité, enthousiasmé par la joie et l'optimisme communicatifs de ce film, qui se clôt pourtant- de manière presque ironique – par un « Happy End » laissant entendre que, cette fois-ci, la conclusion fut agréable…



Promets-moi (Zavet)
De : Emir Kusturica
Avec : Marija Petronijevic, Uros Milovanovic, Ljiljana Blagojevic
Durée : 2h06
Année de production : 2007


06/03/2010
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